Cuisine fusion / Cuisine diffusion
Que l'on soit pour ou contre, la cuisine est très tendance depuis quelque temps. C'est sans doute grâce à l'émergence de cuisiniers (et gouteurs) en herbe passionnés, mais surtout par la médiatisation des professionnels et de divers opérations marketing. Le phénomène accompagne le flux incessant de nouveautés culinaires venant de pays étrangers, comme si la soif de connaissance ou de consommation ne se suffisaient pas de produits d'intérieur, et vont chercher « ailleurs » plus de sources et de stimulations.
Ainsi le terme « cuisine fusion » est indissociable avec la cuisine tendance et contemporaine.
Alors que le sens du mot « fusion » reste ambiguë dans son utilisation. Est-ce vraiment la cuisine fusion parce que l'on a mélangé le beurre avec la sauce de soja, ou confectionné des sushi au jambon iberique ou des rouleaux de printemps au foie gras ? Ce type de « mélange » ne serait-il pas plus précisément la cuisine « diffusion » dans le sens de l'infiltration et de la vulgarisation des choses nouvellement importés ? La tomate ou la pomme de terre ou les épices sont passées par là. Les produits exotiques au début, mais avec le temps, une fois ces nouveautés bien diffusées, elles font partie intégrante de la culture locale. C'est un processus naturel de circulation ou élargissement de matériels, ou bien tout simplement, l'évolution de la cuisine.
Fusion : Adoption de la méthode non pas seulement l'ingrédient
Prenons un exemple des cuisines à fusionner. Je partirai du terrain de ma culture, cuisine d'Extrême-Orient et d'Occident.
Si la cuisine fusion se définit comme fusion des « styles » de cuisines exotiques, comment elle peut être pratiquée concrètement ? Le « style » n'est pas une question de « quoi », mais de « comment ». Il devrait donc s'agir de la rencontre de « qualités culturelles » entre différentes cuisines en dépassant de simples amalgames des ingrédients exotiques.
La choc culturel culinaire n'est pas tellement la présence des ingrédients inconnus, mais « l'état inhabituel » des choses que l'on connait. Dans le cas de l'Occident / l'Asie de l'Est, c'est l'eau, le feu et le couteau, autrement dit, le mode de cuisson et la coupe des aliments.
Par exemple, avec les ingrédients d'un plat de viande rôti, on peut réaliser un plat asiatisant en remplaçant le rôtissage par le bouilli et en le présentant déjà découpé. La méthode et l'outillage sont des éléments de la singularité par lequel on définit le caractère d'une culture. Ils révèlent la différence fondamentale, c'est à dire culturelle, donc leur métissage correspondrait enfin du mot « fusion ».
Cuisine d'eau et cuisine de feu
Les qualités caractéristiques dans la cuisine d'Occident et d'Extrême-Orient
La spécificité commune des cuisines asiatiques est sans doute le taux d'humidité élevée et la quête de la texture moelleuse* La cuisson à la vapeur et la soupe bouillon omniprésente sont les éléments représentatifs.
Si le rôtissage enferme l'essence de l'aliment dans le corps d'aliment en la concentrant (évaporation, contraction, dressage), le bouilli « ouvre » le produit, fait sortir l'essence et l'étale (allongement) avec de l'eau. En conséquence, il y a un air d'eau dans la texture : la moelleusité soutenue par l'élasticité. C'est LA texture à obtenir dans la pratique culinaire asiatique. L'exemple est nombreux: riz blanc, pâtes de riz, nouilles de blé tendre, nombreuse gelées à base de fécules, et les viandes bouillies.
Les pains, aliment occidental par excellence, une fois importés en Asie, il était indispensable de se faire attendrir la texture pour être aimé**. Le riz consommé là-bas est le riz rond riche en amidon. Surtout, en zone de l'Asie Nord-Est, le riz ferme de graine longue « qui ne se colle pas » n'est qu'une pure aberration !
Le pain idéal en Asie:
On s'extase devant la texture douillettissime entre mousse et mie, avec une sensation doucement élastique de pâte de riz. (La précaution diététique mise à côté !)
Le croustillant, ou la « surprise » selon Brillat-Savarin, de la friture est un aspect représentatif des aliments en Occident. (Pour vous rappeler: le tenpura, friture japonaise qui est le summum du croustillant est une technique introduite au Japon par les portugais vers XVIe siècle) La cuisson à huile qui est très présente dans la cuisine chinoise se pratique plutôt en mode sauté ou poêlé rapide (côté Est de la Chine), c'est à dire, saisir tout en gardant l'eau, sans la brulure ou la croute pouvant venir du rôtissage prolongé dans l'air sec chaud ou par le contact insisté avec la plaque chaude.
Coupes : la présentation des aliments prédécoupées est un mode cohérent au goût «ouvert» de la cuisine asiatique. L'aliment est disposé et offert en fluidifiant la prise pour le mangeur. L'acte de prendre avec les baguettes évoque plus de tendreté que l'acte de percer-couper de fourchette-couteau.
Il existe bien plus nombreuse façon de coupe en Asie qu'en Occident. Le hachage et la julienne très fine - que je nomme les coupes «atomisantes» - sont fréquentes et de véritables preuves de patience quasi « bouddhique » provoquant (personnellement), à un certaine stade, une transe comparable au Mandala de sable tibétain.
Attendrir la consistance, allonger l'humidité du repas, ouvrir le corps de l'aliment seraient dont une façon de cuisiner fusion, expérimenter la culture culinaire d'Extrême-Orient.
En ce moment, beaucoup de chef parlent de l'échange entre la cuisine asiatique et la cuisine française (ou occidentale). Effectivement, on s'aperçoit pas mal d'ingrédients asiatiques sur leur carte. J'en suis ravie et m'en amuse, mais, non sans manquement comme sentiment, car l'essentiel de la cuisine asiatique n'y est pas tellement considéré, il manque donc des ingrédients fusionnés.
Dans mes recettes de ce blog, il y a beaucoup d'alliance Asie-Occident au niveau des ingrédients, cela m'inspire enormément, mais je préfère qualifier ma cuisine « créative » que « fusion ».
La question reste: Est-ce que vraiment la cuisine fusion est possible ? Il est difficile d'imaginer un plat à la fois croustillant et tendre, rôti et bouilli. Ce serait une tentation alambiquée en faisant le résultat peu convainquant...
Sinon, on pourrait parler du « gourmet fusion », celui qui sait apprécier au juste titre les différentes qualités culturelles culinaires, aussi bien que la viande grillé que la viande bouilli, de la texture sableuse jusqu'à l'élastique. Finalement cette histoire de la cuisine fusion est peut-être une histoire de l'ouverture.
Pour finir, il ne faut pas oublier de citer les vrais aliments identitaires, ce sont les produits fermentés. Le fait d'initier à un produit fermenté est un synonyme d'entrer à la culture le produisant. Rencontrer les microbes n'est pas une affaire superficielle, mais nécessite de traverser en profondeur dans l'intimité de l'autre. Il est donc probablement possible de parler de la « fusion »
La fermentations et la cultures, un des sujets principaux de ce blog dans lequel j'expérimente les possibilités de fusions de microbes d'Orient et d'Occidents. C'est pour cela que je suis exigeante sur le mot « fusion » .
*La tendance qui s'accentue en allant vers l'Asie de Nord-Est. La cuisine japonaise a donc la consistance la plus « aquatique » en Asie. (ou probablement au monde, mais je ne connais pas toutes les cuisines du monde...)
**Le pain occidental est introduit au Japon dès la XVIe siècle, mais le goût ne convenait pas aux Japonais. Ce n'est que vers la fin XIXe siècle, le pain commence à intéresser aux gens grâce à une idée du fondateur de fameuse boulangerie « Kimuraya », de faire du pain en utilisant le levain de riz formé par les champignon Aspergillus). Il y a aussi la méthode chinoise « Tang zhong » qui fait augmenter la sensation d'humidité et d’élasticité.