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La Table de Diogène est Ronde
La Table de Diogène est Ronde
  • Ce blog parle de la cuisine coréenne et asiatique, de l'esprit slow food de JANG 장 et des fermentations. Contient des recettes végétariennes et des rencontres avec la cuisine française. - Luna Kyung
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La Table de Diogène est Ronde
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3 octobre 2014

Mots de mets ou Mots d’émotions

(Vous retrouvez ici un de mes articles parus sur le site « La Fureur des vivres » disparu depuis Octobre 2012. Celui-ci a été publié en février 2011.)

 

Dans les écritures culinaires coréennes, on trouve des mots bien drôles.
Quelques exemples : Pour expliquer comment faire bouillir un ingrédient, on peut dire ; « bouillir peul-peul », cela veut dire « bouillir très fort ». Si on dit « bouillir ba-le-leu », cela veut dire « bouillir légèrement un instant », « bouillir pa-le-leu » est « bouillir un peu plus fort un instant », « bouillir ou-le-leu » indique « bouillir vigoureusement un instant ». Si on dit « bouillir bôgeul-bôgeul», cela signifie « bouillir longtemps sur feu doux », alors que « bouillir bougeul-bougeul » égale « bouillir longtemps sur feu fort ».

Vous voyez : « taillez song-song» une carotte, alors, la carotte sera en petites tranches. Si vous la « taillez soug-soug», elle sera tranchée grossièrement.

Pour un délicieux gâteau bien moelleux, on exclame : Mmmm, c’est « mâlang-mâlang ». Plus affectueusement, on dira « môlang-môlang», par contre, quand c’est « mulung-mulung », ça veut dire qu’il est  trop mou.

On peut exprimer la fadeur agréable en disant « sim-sim », tandis que le goût « sam-sam » est une saveur salée tout en restant suffisamment fade. Un goût « meng-meng » manque du sel. Quand c’est « ming-ming », c’est encore pire.

Quelques exemples plus parlants en BD, ça se passe dans un restaurant chinois.

Untitled5


Je vous conseille VIVEMENT d’aller voir  le site source de M. Cho en cliquant ici,
 PAS BESOIN DE COMPRENDRE LA LANGUE, vous allez tout comprendre et avoir l’eau à la bouche.

 

Ravioli farci de bouillon de boeuf

mots mets1

 

 

Marmite de tofu aux œufs de crabe

 

mots mets2

 

Crabe sauce aigre-doux

 

 

mots mets3

 

 

 

 




Ces mots simples et amusants expriment « vachement » bien ce qu’ils veulent dire. Parce qu’ils touchent la mémoire de sensations.
La question posée ici : c’est comment efficacement transcrire en mots la complexité de la perception sensorielle et affective. Entre sentir et parler (ou écrire), la correspondance est souvent « pas assez », si ce n’est pas « un peu trop ».

La sensation d’un aliment nous inonde par la matérialité infiniment riche : texture, goût, odeur, température, etc. Bien que la perception est une expérience concrète, il n’est pas facile d’évaluer cette vécue subjective en signes conventionnels. Le phénomène arrive en avalanche, la mesure des mots est limitée pour tout traduire.
Pourtant nous n’arrêtons pas d’en parler et de décrire ces sensations vivantes, informelles, foisonnant malgré le formalisme du logos. Car nous les humains, nous sommes les êtres de communications. Autant nous avons besoin de respirer, autant nous avons besoin de communiquer.

La langue coréenne et japonaise, appartenant tous les deux dans le même groupe linguistique, elles ont beaucoup de points communs. Parmi, on remarque l’épanouissement de  l’onomatopée et de l’idéophone.
La vision contemplative asiatique décrit le monde non comme une chose, mais comme une qualité en perpétuel changement, c'est-à-dire, non-quantifiable, ni mesurable. Cette culture a permis le développement des signes émotionnels et imagés, tels que l’adjectif ou l’adverbe. En Occident, l’esprit du dynamisme scientifique a privilégié le verbe et le substantif qui véhiculent l’idée de fonction, mesure et existence : le rationalisme est dominant.

La sensualité de la culture asiatique se prête bien avec la liberté des expériences corporelles qui n’a pas été refoulée par des préceptes religieux. Le toucher est omniprésent, l’expression physique est transcrite « directement » par elle-même, par le son ou le mimétique du monde : c’est un rapport naturel et direct entre « moi » et « le monde » sans passer par la représentation.
Les énoncés impressifs (l’onomatopée et l’idéophone) sont des vocabulaires transmettant un message imagé sans expliquer, et aptes à évoquer un état physique d’un monde, un objet, une matière.
La cuisine, le domaine des sens par excellence, elle emprunte avantageusement ce mode d’expression, en donnant les paroles aux matières qui sont si bavardes.

Textuel – Texture
Un linguiste coréen disait que la langue de son pays est une langue fluctuante d’une texture «gélatineuse ». Cela peut dire le manque de précision technique, mais il laisse aussi une ouverture, une vibration au sens : comme la différence entre le numérique et l’analogique.
La « gelée » humide, douce, fluide et onctueuse, cette matière molle est aussi celle du corps organique - le corps que nous avons tant de mal à assumer face à la supériorité de l’âme et du spirituel transcendant. La touche est une parole lancée vers la matière molle, la vibration est une réponse, un écho à la tentation, un échange vivant, amoureux et exclusif – comme ce qui se passe  entre le mangeur et son manger.
L’onomatopée et l’idéophone, le langage de corps s’adresse directement sans traduction au monde de phénomènes et de sensations.

 

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La recette ici.



Quand une langue est gélatineuse, la pensée l'est aussi aussi, et la nourriture s’ensuit naturellement. Est-ce pour cette raison ? Il existe, dans la cuisine asiatique nombreux aliments dont la texture occupe l’intérêt principal même avant son goût, par exemple, des gâteaux ou des pâtes à base de riz, certains fruits de mer, etc. Vous avez peut-être été déjà confronté à ce genre de texture élastique, voire caoutchouteuse ou visqueuse… Pour certains, miam miam, pour d’autres, beurk !


Les interjections se forment au fil du temps à travers les mémoires collectives, le plus souvent transmises oralement, ce qui permettait une évolution libre introduisant l’influence de l’expression vivante. Ces mots d’émotion n’« imposent » pas une représentation, mais il « évoque » ce qui est enfoui dans les expériences personnelles.
Par exemple, en disant simplement « froufrou », on évoque un mixte d’images et de sensations : la légèreté, la transparence, donc, une certaine fraîcheur, les frottements, mais en douceur allant vers un sentiment de glissements délicats dans le silence qui fait du bruit soutenu mais contenu…

Les vocabulaires impressifs énoncés, eux-mêmes deviennent une substance organoleptique pour affecter le sens et l’imagination de l’écouteur ou du lecteur.                         .
La répétition de syllabe, résonnant redondant comme une sorte de bégaiement, elle perturbe l’ordre normal d’une langue logique et fait surgir ce qui plus instinctif, comme un animal émettant son chant ou son cri.
N’est-ce pas qu’une heureuse expérience gustative nous fait chanter un poème : Mm mm…, Miammiam…Oh la la !





 

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Commentaires
A
Morte de rire! les dessins et les sons en légende c'est réjouissant et j'avoue que Tsoulung et Sôooook ont un pouvoir d'évocation érotico-fun chez moi!!!Merci à toi pour ce grand rire du matin: j'adore ton blog!
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C
Magnifique. Il y a des choses que je savais un peu, que je pressentais, mais tu l'expliques superbement bien, c'est parfaitement clair et cohérent maintenant !
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